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Interview réalisé pour le numéro papier 591 d’Amina Magazine, par ASSANATOU BALDE
Nafissatou Gueye, 28 ans, est à la tête de l’association J’existe, basée à Dakar, qui œuvre pour redonner une identité à tous ceux qui ne sont inscrits sur aucun registre d’état civil au Sénégal et vivent en conséquence de grandes difficultés au quotidien. La jeune femme qui a plusieurs cordes à son arc travaille également au sein de la start-up Concree où elle accompagne des entrepreneurs, de la conception de leur idée, à leur premier client. Interview d’une passionnée du social, engagée pour le développement durable de son pays.
Comment avez-vous eu l’idée de créer une association telle que J’existe?
Tout est parti d’une frustration lorsque j’ai regardé le film Les enfants Fantômes de Michel Welterlin, projeté le 3 octobre 2018, lors de l’ouverture de la quatrième Land of African Business (LAB), à Abidjan. Le déclic a eu lieu en voyant les témoignages de personnes qui ont rencontré de grandes difficultés dans leur vie car elles n’avaient pas d’actes de naissance et n’étaient inscrites sur aucun registre d’état civil. C’est le cas notamment de Binetou, au Sénégal, qui a dû arrêter ses études en classe de CM2 car au moment de faire son examen d’entrée en 6e, elle a été renvoyée par défaut d’acte de naissance. Le pire dans cette histoire, c’est qu’elle ne sait même pas quel âge elle a aujourd’hui. De même, Fatou, au Mali, voulait être athlète et participer une compétition à Dakar, comme ses camarades, mais elle n’a jamais pu poser sa candidature car elle n’avait pas d’acte de naissance ! Si elle a pu connaître la date de son anniversaire c’est grâce à son oncle qui la lui avait inscrite sur le mur de sa chambre. Tout cela a eu de lourdes conséquences pour elle : elle a été exclue de son école, puis est devenue mère célibataire et ne pourra jamais suivre sa passion. Ces deux témoignages m’ont bouleversée. Dès lors, je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose.
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Quelles sont vos actions et objectifs ?
L’objectif est de réduire le taux de personnes non déclarées au Sénégal et en Afrique. J’existe est une solution présentée sous la forme d’une plateforme virtuelle d’informations, accompagnée d’un plan d’action sur le terrain, pour mobiliser, sensibiliser, former et engager la communauté autour de la cause des personnes non déclarées à l’état civil. Nous menons ainsi régulièrement des actions de recensement de cas et d’accompagnement à la déclaration, et le suivi d’une mise en place d’une solution de numérisation (logiciel de contrôle et de gestion des archives), afin de lutter contre la corruption, le phénomène de la renaissance et les fraudes au Sénégal et en Afrique. Nul n’ignore l’importance de l’état civil aussi bien sur le plan individuel que collectif, d’autant qu’il constitue ce carrefour obligatoire autour duquel gravitent tous les autres points de droit. Ce programme, axé sur la création d’une plateforme virtuelle, page Facebook, site internet d’information, d’une synergie d’actions constructives entre les acteurs, vise à améliorer et innover les services de l’état civil du Sénégal à travers une mobilisation pour l’engagement citoyen, une série de formations sur l’état civil, de sensibilisation et d’informatisation. Notre objectif est de répondre efficacement aux défis et exigences afin d’avoir une identité pour tous au Sénégal, d’ici 2030. Il est aussi un moyen de pression sur l’État à travers notamment les médias, notre participation à des émissions télés et radios, ou encore l’animation de panels et débats pour les sensibiliser sur cette question prioritaire et à la numérisation du système d’enregistrement, qui est exclusivement de leur compétence du fait de la sensibilité des données personnelles.
Comment expliquez-vous qu’autant d’enfants en Afrique ne soient pas déclarés à l’état civil ? À quoi sont dus ces manquements ?
Les raisons sont multiples et varient en fonction de réalités sociales culturelles, géographiques, politiques et religieuses. Nous avons dû mener nos enquêtes pour mieux comprendre l’origine du phénomène. Tout d’abord il faut noter la négligence des parents qui émane de l’ignorance des procédures de déclaration et l’absence de sanction existantes mais non appliquées. L’absence de la civilisation du papier (facteur culturel) auquel ils n’accordent aucune importance. Les supports de communication pour la sensibilisation, ne sont pas adaptés aux langues nationales alors que la cible est à 60 % analphabète. Les parents qui ne veulent pas que leurs enfants aillent à l’école à cause des travaux champêtres. Et souvent ils refusent donc de donner leur carte nationale d’identité pour compléter le dossier de déclaration. Il y a aussi la stigmatisation et le clivage que vivent les mères célibataires qui n’osent pas déclarer leurs enfants par peur de se faire juger par la société après le refus de paternité du père. Il faut aussi noter l’absence d’infrastructures, comme notamment des centres de déclaration proches des lieux d’habitation et l’absence d’infrastructures écolières qui motivent à inscrire ses enfants.
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À ce jour, ils sont au nombre de combien officiellement à ne pas avoir d’identité ?
Selon le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), dans le monde, 1 milliard de personnes ne peuvent pas prouver leur identité, et ce chiffre inclut 625 millions d’enfants qui n’ont pas été recensés à leur naissance, et qui sont donc légalement invisibles. Amnesty International parle de 35 % de la population sans documents de déclaration de naissance et l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) affirme qu’il n’y a que 63 % de la population qui ait un extrait de naissance. Des chiffres vérifiables et confortés par les données DAF nous renseignent qu’il n’y a que 6,5 millions de personnes avec une carte nationale d’identité sur les 16 millions d’habitants au Sénégal. L’Unicef parle, de son côté, de 53 000 élèves exclus de l’école en 2015 au Sénégal, par défaut d’avoir une identité juridique. En 2019, on parle au Sénégal de 60 000 élèves en classe d’examen qui n’avaient pas d’extrait et qui risquaient d’être interdits, soit 3 810 élèves dans la ville de Mbour, 1 700 dans celle de Thiès et 1 000 à Dakar.
Quelles sont vos futures ambitions avec cette association ?
Notre ambition est de « contribuer à un monde auquel nous avons envie d’appartenir » comme le dirait Robert Dilts. Nous espérons responsabiliser les citoyens par rapport à cette situation, afin de réveiller leur sensibilité et les motiver à aider ces personnes, en étant ambassadeur (agent d’état civil qui motive à la déclaration après une naissance) dans leurs localités. Et ainsi permettre au maximum ceux qui ne sont pas déclarés au Sénégal et en Afrique, d’exister avec une identité, en mettant l’accent sur les élèves en âge d’aller à l’école et ceux qui sont en classe d’examens et proche de l’exclusion. Ce qui permettra aussi de promouvoir l’égalité des chances en leur laissant leurs choix de vie et de carrière. Nous voulons réussir à réduire, voire éliminer le taux de non-déclaration à la naissance au Sénégal, avec la participation des différents acteurs, l’implication de l’État à travers une volonté politique saine et efficace, et réussir à engager les jeunes sur les problématiques de l’état civil et des questions de développement afin d’être au rendez-vous de l’agenda 2030. Nous pourrons aussi ainsi dupliquer le projet en Afrique.
Vous accompagnez aussi de jeunes entrepreneurs sur le continent. Comment procéder vous concrètement ?
Je me suis engagée dans l’entrepreneuriat en 2014, en tant que bénévole pour assurer la mobilisation et l’animation d’ateliers de résolutions de défis, d’émergence d’idées de projets à impact positif pour les entrepreneurs, mais aussi la création d’un cadre d’échange sur des sujets qui leur tiennent à cœur. En 2017, l’association dans laquelle j’étais bénévole et membre fondateur depuis 2014, me confie la mission d’aller comme volontaire en Côte d’Ivoire pour appuyer un incubateur local à dérouler son programme d’accompagnement et à créer une communauté de personnes (écosystème) capables de travailler ensemble pour la résolution des problématiques de leurs sociétés. Aujourd’hui, je travaille dans une start-up sénégalaise d’accompagnement et d’incubation (Concree), en tant que chargée d’accompagnement d’entrepreneurs de l’idée jusqu’au premier client. Ma passion pour le social et mon engagement dans le développement m’ont, en effet, motivé ces cinq dernières années à ne travailler qu’avec des organisations qui s’investissent que dans le développement durable au Sénégal et dans d’autres pays africains.
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