mercredi, octobre 16, 2024
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Femmes d'Amina

Rencontre avec Béatrice Lobé Njianga, au 3ième Forum de la Paix et de la Sécurité de Dakar

Béatrice Lobé Njianga est chef de projet au département sécurité de la coentreprise créée entre International SOS et Control Risks  et membre fondatrice du réseau de promotion du leadership des femmes Africaines d’influence « Leader en Elle ». Établie entre Londres et Paris, elle accompagne depuis huit ans les différents opérateurs économiques dans leurs velléités d’expansions à l’international. À 31 ans, forte de son expérience et des succès avec les clients du groupe, Béatrice est aujourd’hui reconnue dans sa profession. À travers les activités de conseil du groupe, elle délivre des préconisations sur leurs problématiques de sécurité et participe à l’implémentation de processus de gestion de risques, de veille politique et économique. Nous avons rencontré Béatrice à l’occasion du 3ième Forum de Dakar de la Paix et de la Sécurité, organisé en partenariat par le Centre des Hautes Études de la Défense du Sénégal (CHEDS) et par la Compagnie Européenne d’Intelligence Stratégique (CEIS). À l’occasion de son échange avec AMINA, Béatrice en a profité pour témoigner de son parcours et pour mettre un coup de projecteur sur « Leader en Elle », le groupe d’influence de femmes entreprenantes et dynamiques, Interview.

 Béatrice Lobé Njianga « Je souhaite rendre les femmes plus fortes. »

 Quel a été votre parcours d’études ?

J’ai grandi à Douala pendant les 15 premières années de ma vie, puis j’ai passé mon bac en France avant de continuer mes études à Paris. J’ai suivi une formation en commerce et relations internationales dans différentes universités. Après avoir obtenu mon master, j’ai intégré International SOS & Control Risks dans l’équipe sécurité de Paris en charge de l’Europe, de l’Afrique et du Moyen-Orient. Puis, j’ai été mutée en Angleterre auprès du Comité de direction, dans les locaux de Control Risks. C’est à cette période que j’ai commencé à mesurer l’impact qu’avait la sécurité sur les échanges économiques internationaux. C’était pour moi d’autant plus intéressant qu’à cette époque, la sécurité n’était pas encore un sujet auquel on pensait spontanément quand on s’intéressait à la résilience des entreprises.

Est-ce la première fois que vous participez au Forum de Dakar sur la sécurité et la paix en Afrique ?

C’est la première fois que je m’y rends physiquement, tout en ayant suivi de très près les précédentes éditions. Je trouve très important de réunir les décideurs politiques, économiques, diplomatiques et militaires sur ces questions et surtout pour une fois de voir une dynamique africaine à l’initiative. C’est très encourageant de voir nos leaders africains se retrouver et décider ensemble de la marche à suivre concernant la sécurité des pays d’Afrique. Comme le disait le président Macky Sall, les enjeux sécuritaires sont de nos jours globaux et c’est à nous, africains, qui sommes directement concernés, de penser et de mettre en œuvre des solutions et des réponses adaptées, propres à nos modèles économiques et sociaux.

Quel était votre objectif principal de vous rendre physiquement cette année au Forum de Dakar ?

Je souhaitais mesurer plus finement les tendances d’évolutions et les enjeux des questions de sécurité de la zone sahélo saharienne. Comme le forum est encore monté en puissance à l’occasion de sa 3ième éditions, j’en ai également profité pour me connecter avec de nouveaux intervenants dans mon champ d’expertise et échanger avec eux sur les derniers retours d’expérience que l’on peut acter sur les questions de sécurité, et notamment ceux liés au terrorisme islamiste. Tout cela cadre également pleinement avec mon souhait de percevoir, au plus proche du terrain, les réalités des problématiques de sécurité afin de pouvoir en formuler une analyse plus pertinente.

 Est-ce qu’il y a quelque chose que vous aimeriez dire, qui vous tienne à cœur par rapport au forum, par rapport à votre expérience professionnelle ?

Dans mes interventions je reviens souvent sur l’importance cruciale de la généralisation et la mutualisation des efforts pour pallier aux défis sécuritaires auxquels notre continent doit faire face. Nous avons trop attendu avant de mettre en œuvre une initiative comme le Forum de Dakar sur la Paix et la Sécurité qui puisse nous permettre de nous réunir pour penser et mettre en place nos propres solutions face aux problèmes auxquels nous sommes confrontés. Bien sûr l’Union Africaine a toujours eu un rôle à jouer, et cette initiative ne doit pas s’inscrire en opposition avec ce qui se fait déjà au niveau de cette instance régionale mais au contraire venir appuyer d’autres plateformes de ce type. J’aimerais également souligner l’importance de la coopération internationale. Dans le cadre de l’opération Barkhane, par exemple, la France, en partenariat avec les armées africaines du G5 Sahel a fait un travail exceptionnel pour sauver la stabilité du Mali. Plus au Sud, les opérations de la CBLT(Commission du Bassin du Lac Tchad) contre Boko Haram sont également autant d’exemples de coopération dont la réussite est à saluer. Bien que les questions sécuritaires soient encore loin d’être réglées, nous devons à présent capitaliser sur les acquis de l’action militaire et inscrire dans la durée la mise en échec des groupes terroristes sur nos territoires.

En tant que femme africaine impliquée dans les questions de sécurité, comment percevez-vous les liens avec la France ?

Ne serait-ce que par nos liens historiques et économiques, le rôle de la France est important. Il y a également entre nos pays des intérêts à maintenir et on comprend tout à fait que la France soit présente aux côtés des États africains pour les aider à gérer leurs problématiques de sécurité et de défense tout en protégeant ses intérêts, ce qui n’est d’ailleurs pas son seul apanage. Plus généralement, en tant que francophones nous avons la langue française en partage et cela est un outil que l’on ne met pas assez en avant dans notre approche face à ces problématiques. Lorsque l’on vit longtemps dans un environnement anglophone, avec des personnes qui ont l’habitude de penser et gérer la sécurité à l’anglo-saxonne, on se rend rapidement compte des plus-values conceptuelles qu’apporte la francophonie en termes de pertinence dans la compréhension des problématiques et dans la mise en œuvre des solutions sur le terrain, en pays francophones. Pour le reste, je ne perçois pas d’élan français particulièrement grand sur la question de l’inclusion des femmes dans les sphères décisionnelles. Déjà en France même, que l’on soit d’origine africaine ou non, de grands progrès sont à faire en matière de représentation de la femme. À mon sens, l’Afrique pourrait être à l’avant-garde dans ce domaine, en prenant sur ce point l’exemple du Rwanda où il y a une parité complète dans les instances décisionnaires entre hommes et femmes.

Est-ce que plus généralement, les femmes sont-elles suffisamment présentes dans les organismes de la défense et le secteur de la sécurité ?

Je constate malheureusement qu’il y a peu de femmes impliquées dans le secteur de la sécurité, et plus généralement, qui se trouvent être associées de manière forte et directe aux décisions dans les processus de prévention des conflits. Cela s’avère à mon sens extrêmement préjudiciable à la qualité des résultats obtenus. Je pense en effet que l’inclusion des femmes dans le processus de pacification des conflits est fondamentale. On n’oublie à ce titre trop souvent que les femmes, à l’intérieur des foyers ont une influence déterminante sur la jeunesse et qu’elles ont mieux que d’autres l’expérience en matière de prévention de la radicalisation.

De quelles manières les femmes peuvent-elles pourtant intervenir quotidiennement ?

Bien souvent c’est à la base que leur action est primordiale, elles peuvent investir dans l’éducation de leurs enfants et préserver les plus jeunes des dérives. La radicalisation commence malheureusement souvent à la maison, c’est pourquoi les mères qui vont être très tôt impliquées et sensibilisées au contexte sécuritaire de leur environnement de vie vont être à même de conseiller et d’aiguiller au mieux leurs enfants et de les orienter vers les influences les plus sûres, afin de leur éviter justement les dérives, notamment vers le terrorisme, que l’on peut constater dans certains villages reculés.

Comment agir afin que les femmes soient davantage impliquées dans les hautes sphères décisionnelles ?

Les choses ne sont pas simples ! Il faut tout d’abord qu’elles prennent pleinement conscience qu’à l’instar des autres questions de société, les questions liées à la sûreté et à la sécurité les concernent complètement. Qu’on le veuille ou non, les femmes ont une sensibilité différente qui s’inscrit bien davantage dans des logiques de discussion, d’entente et de compromis. Il se trouve que c’est particulièrement dans le compromis que résident les solutions garantes de la paix. Donc, oui il y a un vrai challenge pour nous, celui d’arriver au niveau des instances décisionnelles et de faire en sorte que les décisions soient prises en toute collégialité, afin de faire valoir nos sensibilités particulières et d’arriver aux compromis. Il est aussi important de montrer l’exemple aux générations suivantes, afin que nos jeunes sœurs se sentent inspirées par ces femmes qui ont réussi à faire reconnaitre leurs compétences. Je pense à l’exemple donné par Fatou Bensouda à la Cour Pénale Internationale ou encore à Federica Mogherini, la Haute Représentante de l’Union Européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, présente au forum.

Pour votre part, avez-vous rencontré des difficultés en tant que femme à faire reconnaitre vos compétences dans le monde très masculinisé de la sécurité anglo-saxonne ?

Oui beaucoup, et je peux dire qu’il y a définitivement un plafond de verre qui s’exerce sur nous. Ce plafond est lié au genre parce qu’effectivement on n’a pas toutes fait nos armes sur les champs de bataille, on n’est pas toutes allées en Afghanistan et on a n’a pas toutes porté 20 kilos de paquetage sur le dos, dans la poussière et le sable. Cependant, nous avons toutefois un rôle à jouer et c’est parfois difficile de se faire accepter dans un milieu masculin. Les choses heureusement en train de changer, puisque l’asymétrie des menaces terroristes et leur nature diverses impliquent de nouvelles réponses adaptées et innovantes, faisant appel à des solutions dans lesquelles les femmes ont toute leur place. Elles apportent leur ouverture d’esprit dans des problématiques qui n’étaient jusqu’alors abordées que sous des angles très techniques et physiques où prédominaient des aspects purement militaires et qui aujourd’hui ne suffisent plus à répondre efficacement à la menace. Les femmes apportent notamment une réponse sur la dimension sociale, dimension sur laquelle s’appuient beaucoup d’organisations terroristes qui infiltrent un contexte social ou familial et qui en font le nid de leurs opérations.

À propos du cadre familial, est-il difficile de joindre les deux bouts entre la vie professionnelle et la vie personnelle dans le secteur de la sécurité ?

Tout est une question d’organisation et il faut absolument trouver l’équilibre sans jamais se dire que c’est impossible. Je suis maman d’une fille de 6 ans et pourtant je voyage beaucoup pour mon métier. J’encourage toutes les femmes, à oser aller au bout de leurs ambitions malgré la société qui voudrait que nous restions à la maison et aussi malgré le poids des traditions africaines. Ce poids des traditions constituent d’ailleurs bien souvent un second plafond de verre qu’il nous faut percer et qui fait figure, avec la discrimination liée au genre, d’une réelle double peine. En effet, il est dur d’aller contre des mœurs qui ne verraient pas d’un bon œil les femmes carriéristes et c’est pourquoi je pousse la génération à venir à résister autant que possible aux pressions sans pour autant renier notre culture africaine. Aujourd’hui nous avons de nombreux moyens de communication et des outils performant comme les Smartphones et tablettes connectées, on peut donc mieux s’organiser pour être à la fois une bonne maman, une bonne épouse ainsi qu’ une professionnelle complète et avertie .

Est-ce fort de ce constat que vous avez décidé de cofonder il y a un an et demi-« Leader en Elle » votre réseau de femmes Africaines d’influence ?

Oui, c’est en grande partie pour cela, après avoir compris que tout était toujours beaucoup plus dur à surmonter lorsque l’on était isolée et qu’il n’y avait aucune raison que l’adage « l’union fait la force » ne s’applique pas également à nous autres les femmes. Au sein du réseau « Leader en Elle », nous mettons l’accent sur la promotion du leadership de la femme. Nous animons une communauté d’expert(e)s issues de la diversité autour de sessions de coaching, d’ateliers débats et de séances de networking. Nous mettons au service des différents partenaires l’expertise et l’expérience des organisations membres de notre réseau avec pour seul crédo « l’excellence ». De cette manière nous faisons rayonner les talents de la diversité au-delà des frontières pour, in fine, peser par notre empreinte économique, politique et sociale sur l’avenir de notre continent d’origine et de nos pays de résidence respectifs

Comment s’est développé « Leader en Elle » depuis sa création ?

Le réseau s’est tout d’abord constitué principalement en France notamment, par affinité géographique de nos membres. À la naissance de « Leader en Elle » nous avons réussi à fédérer à Paris une Task-force de départ qui a par la suite permis à nos membres de rayonner à travers d’autres territoires. Aujourd’hui, il a un rayonnement plus global. Nous avons par la suite été sollicités le continent africain pour intervenir sur les challenges au féminin et pour encourager entrepreneuriat des femmes voire encourager des jeunes filles encore non scolarisées. Nous montons en puissance de jours en jours en fonction du niveau de nos intervenants et de l’ampleur de l’impact de nos contenus.

Quels sont vos prochains rendez-vous Africains ?

 Les 10 et 11 mars prochain nous seront à Abidjan en partenariat avec le Forum pour l’emploi et l’entreprenariat féminin où nous animerons des ateliers. Le thème de notre intervention s’articulera autour de la question « Comment monter des dynamiques de réseau » afin d’apprendre aux jeunes femmes que c’est ensemble que l’on peut identifier les challenges et trouver les solutions, ou encore, « Comment rebondir face à l’échec et faire preuve d’audace. »

Auriez-vous un dernier mot pour conclure ?

J’aimerais remercier votre magazine et l’ensemble de ses lectrices. Je les invite toutes à se réunir et à se regrouper pour défendre la place des femmes et mettre en avant toujours plus d’excellence et de professionnalisme. Pour celles qui ont l’esprit de leadership et qui souhaitent s’investir dans un réseau, « Leader en Elle » est la réponse. Dès le début, la femme africaine a toujours été celle sur qui tout a reposé. Elle est un Leader né parce qu’elle fait souvent vivre toute sa famille et il est donc aujourd’hui primordial d’inclure les femmes africaines dans les processus décisionnaires, pour qu’elles puissent y faire montre de toutes leurs compétences dans les hautes sphères et promouvoir ainsi un développement plus inclusif.

Par Benjamin Reverdit

 
À lire aussi :  « La Paix et la Sécurité en Afrique, et si on en parlait ? » ,  par Béatrice Lobe Njianga
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