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Maryse Condé : sa dernière interview pour Amina

« Le monde deviendra plus vivable quand les hommes seront tolérants et respectueux des différences »

Dans ce qu’elle annonce comme son dernier livre, « L’Évangile du Nouveau Monde », la lauréate du Prix Nobel « alternatif » de littérature 2018 et du Prix mondial Cino Del Duca en mai dernier a choisi de livrer à son tour une parodie du texte sacré. Une jolie contrefaçon, et un beau plaidoyer en faveur des migrants du monde entier.

Propos recueillis par Zara Derza

Comment est né « L’Évangile du nouveau monde ? »

Quand j’ai lu « L’Évangile selon Jésus » de José Saramago, le Prix Nobel portugais, j’ai ressenti la première tentation de l’imiter. Mais je n’avais pas suffisamment confiance en moi. Le courage m’est venu peu à peu en lisant « Une enfance de Jésus » de J.M. Coetzee et « Souffle » d’Amélie Nothomb. Si ces trois auteurs avaient le courage d’écrire une parodie de l’Évangile, pourquoi n’y parviendrais-je pas.

Après avoir traité de la radicalisation dans « Le Fabuleux et Triste Destin d’Ivan et d’Ivana », vous vous intéressez en particulier au sort des migrants, pourquoi ?

À l’époque où nous vivons, il n’est pas de drame plus cruel que celui que vivent les migrants : des hommes, des femmes et des enfants, quittant leurs pays parce qu’ils n’arrivent pas à y vivre et trouvant la mort comme ultime solution. J’ai été particulièrement frappée par les photos représentant un petit garçon mort sur une plage alors que ses parents tentaient de gagner une vie meilleure.

À quel personnage de « L’Évangile… » vous identifiez-vous ?

À aucun. Simplement j’ai lu la Bible à plusieurs reprises et la connais pratiquement par cœur.

La couleur de peau est très importante dans ce livre, vous l’évoquez souvent, pourquoi ?

Vous avez peut-être entendu parler du racisme qui frappe les individus dont la peau est sombre. Autrefois, les savants divisaient le monde en race inférieure et en race supérieure selon la couleur de la peau. Je ne fais que reprendre cette théorie que tout le monde connaît.

Pensez-vous, comme Pascal, votre héros, que la fraternité et l’amour sont des forces salvatrices ?

Je pense que le monde deviendra plus vivable quand les hommes seront tolérants et respectueux des différences. La parole de l’Évangile « Aimez-vous les uns, les autres » est un guide vers ce monde meilleur.

Vous avez obtenu le prix Nobel alternatif de littérature en 2018, qu’est-ce que ça a changé dans votre vie ?

Cela m’a rempli de bonheur et de fierté. Moi qui suis originaire de la Guadeloupe, j’étais heureuse que l’on ne parle pas de mon pays simplement quand il est frappé d’une catastrophe naturelle : cyclone, tremblement de terre. On reconnaissait qu’il pouvait être le cadre d’une voix forte et singulière. Sur le plan matériel, cela a permis à mes livres d’être traduits dans de nombreuses langues.

Qu’est-ce que ce prix a changé dans votre rapport à l’écriture ?

Je ne sais pas. Chaque fois qu’un écrivain attaque un nouveau livre, il est investi de changements dont il n’est pas entièrement responsable.

Vous avez déclaré « on écrit d’abord parce que l’on est désespéré ». Qu’est-ce qui vous désespère ?

L’état du monde, les attentats, les migrations sont des phénomènes désespérants. Du moins ils me paraissent ainsi car j’ai été élevée dans la foi en l’avenir. Mes parents étaient convaincus qu’un jour le racisme disparaîtrait ainsi que l’importance accordée à l’argent.

Comment se porte la francophonie aujourd’hui ?

Je n’en sais rien.

On vous qualifie souvent de Toni Morrison des Caraïbes, qu’en dites-vous ?

Je trouve cette comparaison plutôt flatteuse. Toni Morrison était un grand écrivain, une femme courageuse. Je lui accorde une place spéciale dans mon panthéon.

Comment qualifieriez-vous votre style littéraire ?

Ce n’est pas à moi de qualifier mon style littéraire. Ce rôle appartient à mes lecteurs et à mes critiques. Je tente de faire beaucoup de comparaisons humoristiques, d’être vivante, de mélanger le français et le créole. Ainsi l’écrivain Édouard Glissant a dit « J’écris en présence de toutes les langues du monde ».

Que pensez-vous du mouvement Black Lives Matter ?

Depuis des générations les Afro-Américains luttent contre le racisme des Blancs. Ce combat n’est pas fini.

Pensez-vous comme Rokhaya Diallo que la France est raciste ?

Je pense que tous les pays ont leur dose de racisme. La France comme les autres.

Quelle relation entretenez-vous avec la Guadeloupe aujourd’hui ?

Quand j’ai eu le Prix Nobel Alternatif, je suis retournée l’offrir à la Guadeloupe. Il y a eu une belle cérémonie au Mémorial Acte de Pointe-à-Pitre. J’aurais aimé en faire de même lorsque j’ai reçu le Prix Cino del Duca, mais mon état de santé ne le permettait pas. Personne n’ignore mes opinions politiques. Je participe à l’UPLG (L’Union Populaire pour la Libération de la Guadeloupe) depuis sa création. Le Président de la République, Emmanuel Macron, en me décorant Grande Croix de l’Ordre National du Mérite a plaisanté : « Maryse Condé est l’indépendantiste la plus décorée de la République française. »

Vous avez vécu en Afrique, aux États-Unis, à Paris et en Guadeloupe, mais vous avez choisi de vous installer à Gordes, dans le Lubéron, pourquoi ?

Je vis à Gordes parce que ma santé est très mauvaise et que je me trouve mieux dans un petit village.

Comment définiriez-vous votre identité ?

J’ai dit à plusieurs reprises que les identités étaient plurielles, qu’elles étaient le fruit des influences que l’on avait subies. De nos jours les mondes s’interpénètrent et se diversifient.

Quel thème évoquerez-vous dans votre prochain roman ?

Il n’y aura pas de prochain roman. Ma santé ne me le permet pas.

« L’Évangile du Nouveau Monde », de Maryse Condé, éditions Buchet Chastel.

Photo : Philippe Matsas

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