En 1989, Marie Marre est adoptée par un couple de Français par le biais de l’Association Rayon de Soleil de l’enfant étranger (RSEE). Elle a alors 19 mois, comme l’indique son certificat de naissance. La petite fille devenue française grandit dans une famille normande aimante, entourée de frères et sœurs d’horizons différents. À l’aube de devenir mère, la jeune médecincherche à en savoir davantage sur ses origines. Elle fouille alors dans son dossier d’adoption. Il est rempli d’incohérences. Soucieuse d’en savoir plus, elle entreprend des recherches sur internet. Quand elle tape « adoption au Mali », elle est sous le choc : sur la toile, plusieurs journalistes maliens dénoncent des trafics d’enfants. Elle décide de se rendre dans le pays qui l’a vu naître. Marie Kadiatou nous livre son histoire.
Comment s’est passée votre enfance ? Avez-vous toujours eu ce sentiment que quelque chose vous manquait ?
Je n’ai pas de souvenir de ma toute petite enfance au Mali. J’ai eu la chance d’avoir des parents adoptifs extrêmement ouverts sur les différentes cultures. Ils avaient des amis d’origine béninoise et dans ma famille, il y avait aussi des personnes d’origine asiatique.
Enfant tout ce qui touchait le Mali ne m’intéressait pas spécialement, j’étais même dans la démarche inverse : je voulais être la plus française de tous les Français.
À l’adolescence, je me suis progressivement intéressée à la culture malienne,notamment à travers la musique. À l’époque, je faisais partie d’un groupe composé de musiciens venus du Maghreb et d’Afrique subsaharienne. Nous chantions du gospel, mais aussi de la world music.
Un jour, une tante dont une amie avait séjourné au Mali m’a rapporté une cassette de Salif Keita, que j’ai toujours. J’ai eu un coup de cœur pour sa musique. Il a été mon premier contact avec la culture malienne. Ensuite, je me suis acheté des CD avec mon argent de poche : Rokia Traoré et tous les grands musiciens maliens connus que l’on trouvait à la FNAC.
Parliez-vous avec vos parents adoptifs de vos origines ?
Mes parents adoptifs ont toujours été extrêmement transparents sur monhistoire. C’était très important pour eux qu’il n’y ait aucun tabou. Ils m’ont souvent rappelé que je pouvais avoir accès à mon dossier d’adoption qu’ils avaient conservé, mais à l’époque cela ne m’intéressait pas. Pour moi, j’avais mes parents, mes quatre frères et sœurs qui étaient ma famille et c’était tout. Me croyant abandonnée, je n’avais pas l’envie de chercher.
Au moment d’être mère à votre tour, vous avez voulu connaître votre filiation, était-ce pour vous ou aussi pour votre fille ? Quel a été votrecheminement ?
Quand je suis devenue maman, j’ai pensé que j’allais avoir un enfant qui me ressemblerait. C’était extraordinaire. Dans ma famille personne ne me ressemble physiquement, car nous n’avons pas de lien génétique. Cela m’a beaucoup travaillée. Je me suis alors questionnée sur ma propre naissance. J’ai pensé que ma mère biologique avait dû ressenti des sentiments similaires aux miens lorsqu’elle était enceinte. Quand ma fille est née, je me suis demandée ce qu’il avait bien pu se passer dans sa vie pour que je parte en adoption en France après avoir vécu près de deux ans avec moi. J’ai voulu en savoir plus pour moi et pour que ma fille puisse répondre aux questions qu’on m’avait posées, à savoir : quelles sont tes origines, tu viens d’où? Je souhaitais pouvoir lui raconter mon histoire.
En janvier 2020, vous vous envolez pour le Mali. Comment s’est passé votre séjour sur place ?
J’ai rencontré les personnes qui avaient travaillé pour l’association et organisé mon adoption. Ils se souvenaient de ma mère biologique mais ne l’avait pas revu depuis 30 ans. J’ai voulu comprendre ce qui s’était passé. Et je me suis dit que si je retrouvais ma mère, au moins j’aurais des réponses.
Aller au Mali m’a aussi permis de vérifier les documents mis à ma disposition. L’association Rayon de Soleil m’avait assuré que les démarches administratives qui ont permis mon adoption était en règle. Quand je suis arrivée à Ségou où l’on m’avait soi-disant déclaré, on ne m’a pas retrouvé dans les registres.
Le responsable de l’état civil m’a alors expliqué que l’acte de naissance était une fausse copie, ce qui m’a conforté dans l’idée qu’il y avait des choses graves qui s’étaient passées.
D’autant plus que j’ai rencontré des familles biologiques qui racontaient toutes la même histoire, sans se connaitre entre elles.
Elles affirmaient qu’on leur avait expliqué que leurs enfants iraienttemporairement en France et qu’ils reviendraient tous les 3 à 5 ans au Malipour les vacances et qu’à leurs 18 ans, après avoir reçu une formation scolaire, leur retour serait définitif. Pour les parents, c’étaient une chance inespérée, car beaucoup d’entre eux n’avaient pas fait d’études ou souhaitaient que leurs enfants aient une bonne formation. Ils ont fait confiance.
Les parents ont donc laissé partir les enfants sans penser qu’ils seraient adoptés en France ?
Les parents biologiques, dont la plupart ne savait ni lire, ni écrire ni parler le français ne pensaient pas en signant les documents de l’association s’engager pour une adoption plènière, c’est-à-dire définitive. D’autant plus que les jugements des tribunaux maliens prévoyaient des adoptions-protection, qui sont l’équivalent de la délégation d’autorité parentale en France.
De leur côté, les parents français croyaient adopter pleinement les enfants dont on leur avait dit qu’ils étaient orphelins.
Au départ, l’organisme Rayon de Soleil leur a demandé d’envoyer des photos et des rapports d’adaptation, tous les six mois pour les autorités maliennes. En réalité, ces informations étaient transmises aux familles biologiques, ce qui entretenait l’idée que les enfants allaient revenir. Puis un jour, il n’y a plus eu ni rapport de suivi ni photos. Les parents biologiques se sont alors posés des questions. Des plaintes sont arrivées et un journaliste de l’Aurore, Ibrahima Sangho a mis en relief de graves dérives. L’ARSEM, la branche malienne de l’association Rayon de Soleil a attaqué le journal en diffamation, mais ce dernier a gagné le procès.
L’affaire a ressurgi au début des années 2000 à la faveur d’un reportage réalisé par Nicolas Poincaré pour l’émission sept à huit. Le journaliste s’est rendu au Mali et a constaté le nombre élevé d’enfants enlevés à leur famille à Bamako.Certains parents adoptifs ont identifié les lettres qu’ils avaient écrites à l’organisme dans les mains des parents biologiques. Certains enfants ont reconnu leurs parents biologiques à la télé. Pour ma part, je n’avais à l’époque pas eu connaissance de ce reportage.
En juin 2020, ayant pris conscience de la gravité des faits neuf d’entre nousont déposé une plainte contre l’association Rayon de Soleil de l’Enfant Etranger et Danielle Boudault. Pour nous représenter, deux avocats de l’Alliance des avocats pour les droits de l’Homme (AADH), Maitre Noémie Saidi-Cottier et Maitre Joseph Breham.
Suite à la publication d’un article dans « Le monde » et d’un reportage surTV5MONDE, nous avons été contactés par plus d’une cinquantaine de personnes adoptées par cet organisme, ces quarante dernières années, au Mali, en Corée du Sud, en Haïti, en Inde, en Roumanie et Madagascar. Mais aussi par des parents adoptifs et des familles biologiques.
C’est à cette époque que j’ai décidé de créer le collectif des Adoptés français du Mali, pour aider ceux qui cherchaient à retrouver leurs parents et parler à d’autres adoptés du même pays. Pour certains, c’était aussi un moyen de se rapprocher de leur origine malienne.
Dans quel état d’esprit sont les adoptés aujourd’hui ?
Certains veulent aller en justice et sont très déterminés, d’autres pas mais la grande majorité souhaitent que la vérité soit faite et les responsabilités établies. Tout dépend de leurs personnalités, de leurs histoires personnelles, de leursrelations avec leurs parents adoptifs et biologiques. Certains, par solidarité, veulent juste aider en donnant tous les documents en leur possession ou en témoignant de leurs histoires.
L’association Rayon de Soleil n’a pas hésité à séparer les fratries, vous êtes-vous découvert des frères et sœurs ?
Suite au reportage de TV5MONDE et du journal « Le monde », des Maliens ont appelé ma mère biologique. Ils lui ont dit que sa fille qu’elle cherchait depuis 30 ans la recherchait aussi. Peu après, elle est entrée en contact avec les deux journalistes qui avaient diligenté l’enquête. Avec ma mère, nous avons ensuite échangé pendant un an. Cela nous a permis de faire connaissance. Elle parle très peu le français, aussi nous avons fait appel à un traducteur de confiance.
En septembre 2021, je me suis rendue une nouvelle fois au Mali et je l’ai rencontrée à Bamako. Au début, je trouvais qu’elle ressemblait davantage à ma dernière fille et puis j’ai vu les photos de nous deux cote à cote… Nous avons le même gabarit, le même rire et des personnalités assez similaires. Elle a pu me donner beaucoup d’éléments sur les circonstances de mon adoption. Elle m’a expliqué que j’avais un frère qui lui aussi avait été adopté en France par la même association.
Avez-vous pu le retrouver ?
J’ai le nom qui lui a été donné à sa naissance, mais les parents adoptifs changent souvent le prénom des enfants à leur arrivée en France. Aussi je ne sais pas comment il s’appelle aujourd’hui. Ma mère, Fatoumata Cissé, a pu récupérer deux photos de lui et a donc pu me montrer son visage enfant. J’en ai informé le ministère des affaires étrangères français afin de connaître son identité. Il a été décidé qu’ils enverraient une lettre provenant de la Mission de l’Adoption Internationale pour l’avertir qu’un membre de sa famille biologique souhaitait entrer en contact avec lui et que de nouvelles informations étaient disponibles dans son dossier. Aussi j’ai envoyé une lettre dans le cas où il déciderait de consulter son dossier au siège de l’association et qu’il puisse avoir accès à mon courrier. C’est actuellement, le seul moyen qui est mis à ma disposition pour entrer en contact avec lui…
Comment votre mère a-t-elle vécu vos retrouvailles et toute cette affaire ?
Il y a eu beaucoup d’émotions, de la joie et des pleurs aussi. C’était un soulagement car elle nous a cherchés pendant longtemps. Elle n’a jamais voulurefaire sa vie. Elle nous a attendus à défaut de parvenir à nous retrouver. Quand j’étais à Bamako, elle voulait toujours m’offrir un petit cadeau, m’acheter quelque chose à boire ou à manger. Elle est heureuse de m’avoir retrouvée, mais à la fois en colère contre l’association et les personnes qui l’ont dupée. Elle a aussi une très forte envie de retrouver son autre enfant. Elle a suivi de près le parcours des adoptés revenus au pays, les appels à témoin. Elle sait que c’est possible.
Quand vous êtes venue la voir au Mali, étiez-vous en famille ?
Non, j’y suis allée seule. La Covid était toujours là. Et puis retrouver sa mère de naissance après 33 ans, c’est quelque chose ! J’avais besoin de prendre du temps avec elle. Avec mes filles, cela aurait été plus compliqué car elles sont encore très jeunes.
Et puis quand je suis partie au Mali, c’était aussi pour les autres adoptés.
Je continuais l’enquête et j’ai aidé les adoptés du collectif qui ne pouvaient pas se déplacer à avancer dans leur quête des origines. J’ai eu la chance d’avoir des avocats extraordinaires qui se sont déplacés au Mali durant mon séjour afin de faire avancer notre dossier et de nous aider à défendre nos droits.
Qui êtes-vous aujourd’hui ? Avez-vous souhaité faire des démarches pour reprendre votre identité malienne ?
Je pense qu’en reconstituant mon histoire et retrouvant mes originesmaliennes, j’ai retrouvé mon identité complète. Je suis Marie en France et Kadiatou au Mali et ces deux prénoms font partie de mon histoire. Je n’ai pas entamé de démarches administratives pour reprendre mon identité maliennecar ce n’est pas personnellement pas mon combat.
Mais certaines personnes adoptées souhaitent réacquérir leur identité malienne notamment ceux qui sont arrivés assez tard mais pas seulement.
Où se situe dorénavant votre combat ?
Je me bats pour la reconnaissance des faits. J’ai lu énormément de dossiers et rencontré beaucoup d’adoptés de nombreux pays. Certains états en Europeaident davantage les adoptés à retrouver leurs origines, mais en France, il n’y a pas d’organismes dédiés offrant une prise en charge multidisciplinaire pour lesadoptions internationales.
C’est pourquoi, dans le cadre de notre collectif, nous avons organisé une campagne de sensibilisation au sujet des adoptions internationales illégales et le droit à l’accès aux origines auprès des ministres français des Affaires étrangères et de la Justice et la secrétaire d’État chargée de l’Enfance rattachée à la Première ministre.
Nous avons également écrit à plus de 400 députés et à certains sénateurs français pour leur expliquer la nécessité de la part du gouvernement français d’ouvrir une enquête sur le sujet des adoptions internationales illégales.
Grâce à la mobilisation des adoptés du Mali et d’autres pays d’origine, le gouvernement français a fait, le 8 novembre dernier, une annonce en diligentant la mise en place d’une mission d’inspection sur les pratiques illicites dans l’adoption internationale qui concernera le ministère des affaires étrangères, de la justice et le secrétariat d’état chargé de l’Enfance.
C’est un début encourageant dont nous attendons les conclusions en espérant que le gouvernement légifèrera pour améliorer la situation des personnes adoptées à l’international.
Depuis octobre 2021, avec 13 autres associations et collectifs d’adoptés à l’international, nous avons formé une coalition, « Voice Against IllegalAdoption » (VAIA), pour sensibiliser les experts des Nations Unies sur le sujet. Nous avons été entendus puisque ces derniers ont déclaré : « Danscertaines conditions prévues par le droit international, les adoptionsinternationales illégales peuvent constituer des crimes graves tels que le génocide ou les crimes contre l’humanité ». Une déclaration forte qui encourage les états à mener des enquêtes en cas de suspicion d’adoptions illégales sans attendre le dépôt de plainte d’une victime.
Parmi nos défis : la modification de certaines lois pour palier les problèmes de prescription lors des recours judicaire, remettre sur la table la question de l’ADN dans les cas d’adoptions illégales car c’est la seule solution pour infirmer ou affirmer le lien génétique entre la personne adoptée et ses géniteurs potentiels.
Où en êtes-vous de votre procédure contre Rayon de soleil et Danielle Boudault ?
En décembre 2020, nous avons déposé une plainte avec constitution de partie civile suite au classement sans suite de la plainte initiale déposée le 8 juin 2020.
Le 6 septembre 2022, la justice française a décidé d’ouvrir une enquête pourrecel d’escroquerie contre Rayon de Soleil de L’Enfant Étranger et Danielle Boudault.
Qu’espérez-vous de cette action en justice ?
C’est maintenant à la justice d’enquêter sur l’affaire et d’établir les responsabilités de chacun. Nous espérons une reconnaissance des faits et que cela incitera le gouvernement français à faire évoluer les lois afin de prévenir les abus et d’apporter un réel soutien aux victimes. L’état français a aussi son rôle à jouer dans ce devoir de vérité et sur la reconnaissance des faits.
Imaginez–vous publier un livre sur votre histoire ?
Beaucoup de gens me poussent à le faire. Mais pour le moment, je doism’occuper de mes enfants et poursuivre mon combat pour les adoptés à l’international. On verra dans les mois ou les années à venir.
Que propose le collectif aujourd’hui aux adoptés ?
Ces derniers temps, nous avons été très pris par la campagne de sensibilisation auprès des politiques et le plaidoyer pour la reconnaissance des adoptions internationales illégales.
Nous développons aussi des actions culturelles avec des projets de sorties dans des restaurants avec une gastronomie africaine, de rencontres avec des artistes maliens, des cours de cuisine etc. Depuis le mois de novembre, des cours d’initiation à la langue bambara avec un professeur universitaire ont débuté,car beaucoup de familles ne parlent pas ou peu le français. Il est important de pouvoir tisser des liens entre nous. Le collectif est aussi un espace d’échange, une sorte de club social entre les personnes adoptées d’un même pays.
Depuis la création du collectif, nous aidons les membres qui sont dans une démarche de recherche des origines à retrouver leurs familles de naissance au Mali.
Gardez-vous un traumatisme de votre adoption ?
J’ai vécu dans l’ignorance de toutes ces irrégularités pendant trente ans, ce qui m’a permis de construire une vie professionnelle et une vie de famille stable.J’ai eu la chance d’être extrêmement bien entourée par ma famille et mes amis. La fondation du Collectif, la reconnexion avec mon pays d’origine et cette mobilisation des personnes adoptés a un côté salvateur, cela permet de donner du sens à nos histoires.
Mais ce n’est pas le cas de tous. Dans le collectif, il y a des personnes pour qui l’adoption a été traumatisante et douloureuse. Certains se sont retrouvés en famille d’accueil quelques années après avoir été adoptés et n’ont aujourd’hui plus réellement de familles.
Les Chiffres
D’après le Quai d’Orsay, depuis 1979, ce sont près de 100 000 enfants qui ont été adoptés à l’étranger.
De son côté, l’association Rayon de Soleil de l’enfant étranger s’est occupée de plus de 7000 adoptions internationales depuis sa création. Pour le Mali, ce sont 324 adoptions qui ont eu lieu entre 1989 et 2001.
Collectif des adoptés français du Mali
Email. infosadoptesdumali@gmail.com