Amina est allée à la rencontre de l’ONG ALIMA (The Alliance for International Medical Action) afin de savoir comment les choses se passent concrètement sur le terrain, quelles sont les menaces qui pèsent sur les pays africains et surtout quels sont les besoins sur place. Interview du Docteur Moumouni Kinda, Directeur des opérations d’ALIMA.
On parle beaucoup de l’Europe, de l’Asie et des Etats-Unis dans les médias sur le thème du coronavirus. Comment expliquer que l’on parle si peu de l’Afrique ?
Aujourd’hui, on parle encore trop peu de l’Afrique car les pays africains ont été touchés plus tard et parce que l’Europe et les USA sont actuellement les plus affectés, mais ne nous trompons pas, ce n’est qu’une question de temps. On se rend compte que de plus en plus de pays africains sont touchés et que la courbe épidémique suit la même tendance que dans le reste du monde. [signinlocker id= »31768″]
Pensez-vous que des méthodes de confinement strictes sont applicables en Afrique ? Pour quel impact économique ?
Pour certaines populations qui vivent uniquement de l’économie informelle, le confinement strict sera parfois impossible. Si on veut pouvoir l’appliquer, il faudrait qu’une aide financière soit accordée aux citoyens comme c’est le cas dans les pays occidentaux.
En revanche, il n’y a pas que le confinement à prendre en compte. Il faudra également des campagnes de communication et de sensibilisation pour que les gestes barrières soient appliqués par la population, ainsi qu’une bonne capacité de dépistage, pour les personnes suspectes mais aussi pour les cas contacts. Par ailleurs, il faut impérativement établir des mesures de protection des soignants, car ils sont les premiers exposés, en contact direct avec le COVID-19. Ce sont nos héros du quotidien.
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Quels seraient les freins à la mise en place de mesures efficaces contre le COVID-19 en Afrique ?
Le manque d’information et la pauvreté peuvent être des freins car comme je le disais, s’il y a confinement, les personnes pourraient le rompre pour aller travailler et trouver de quoi vivre sans aide.
L’accompagnement des populations est très important. Il faudra assurer la meilleure prise en charge possible des malades afin de concrètement sauver des vies mais aussi de réduire la peur des populations vis-à-vis de la maladie.
Un autre frein réside dans le manque de matériel et de soignants : En Afrique de l’Ouest, on a 0,3 lit pour 1 000 habitants, contre 6,5 en France. Il y a aussi beaucoup moins de médecins : 1 pour 15 000 au Burkina Faso, qui est le pays le plus touché en Afrique de l’Ouest et centrale, contre 50 en France.
Le manque de matériel et d’équipements est également un réel problème et beaucoup plus en Afrique que dans le reste du monde. Je parle là des moyens qui permettent les soins et le respect des mesures barrières : les masques, les gants, les solutions hydroalcooliques, ainsi que les équipements pour l’oxygénation et la réanimation.
Quels pays ou zones sont les plus à risque selon vous ?
Il n’y a pas pays potentiellement moins à risque. A l’heure actuelle, tous les pays le sont.
En revanche, il y a des états davantage organisés, des administrations plus fortes. Les pays plus fragiles sont plus en Afrique centrale, là où il n’y a pas d’élections, là où les systèmes d’électricité et d’eau sont instables… Dans certaines régions, les populations sont nomades, comme au Mali ou au Niger par exemple. Et il y a encore ceux qui sont confrontés à des conflits, je pense particulièrement à la République démocratique du Congo et aux zones de conflit de la zone sahélienne (Burkina Faso, Mali, Niger notamment). Tout cela va grandement compliquer les choses.
Comment se passe actuellement la prise en charge sur le terrain selon l’expérience des équipes d’ALIMA ?
Je prendrais l’exemple concret de l’hôpital de Fann de Dakar au Sénégal où les équipes ALIMA interviennent en soutien au personnel du Ministère de la Santé :
Lorsqu’un patient est suspecté il est référé par une ambulance directement à l’unité de triage du Centre de Traitement COVID. Une fois admis à l’hôpital, il est directement investigué et pris en charge par du personnel médical qui va ensuite le transférer dans une chambre individuelle. Dans cette chambre, l’équipe médicale du Centre de Traitement pourra lui apporter les soins nécessaires. En parallèle de cette prise en charge, il faut mettre en place des mesures d’isolement de l’entourage et bien sûr travailler sur la protection maximale du personnel soignant. C’est une de nos priorités.
Comment ALIMA apporte-t-elle son aide actuellement ? Comment ALIMA prévoit-elle d’apporter son aide pour l’épidémie qui arrive ?
Nous accompagnons les Ministères de la santé, en renforçant la prise en charge des malades mais aussi dans la prévention et le contrôle d’infection.
Concrètement, nous venons en appui technique aux Centres de Traitement du Coronavirus mais au delà de cet aspect technique, nous soutenons également leur réhabilitation, leur équipement en matériel médical et de laboratoire. Nous apportons du personnel soignant et d’autres ressources humaines expertes dans la gestion des épidémies.
ALIMA a déjà expérimenté certaines techniques et certains matériels tels que les combinaisons individuelles de protection et notre expertise, liée à la réponse Ebola, nous a permis d’améliorer notre réponse d’urgence aux épidémies.
Nous connaissons les impacts sociaux et économiques d’une épidémie sur une population. Ces connaissances nous permettent de pouvoir appuyer les Ministères de la santé dans plusieurs pays africains.
En revanche, malgré ces connaissances, nos difficultés résident dans le fait que les systèmes de santé des pays africains sont très fragiles et ne sont pas prêts à faire face à cette pandémie de COVID-19. Le nombre des ressources humaines qualifiées, la disponibilité des médicaments et des matériels biomédicaux font partie des challenges des pays sur le continent.
Par ailleurs, l’Afrique recense un taux élevé de mortalité lié au paludisme, à la malnutrition, aux maladies diarrhéiques et aux infections respiratoires. Une déstabilisation de ce système déjà fragile risque d’entraîner une surmortalité liée à ces maladies.
Dans quels pays agissez-vous ? De quelles ressources manquez-vous pour faire face à l’épidémie ?
Nous agissons dans nos 12 pays d’intervention en collaborant avec les autorités sanitaires sur place.
Nous manquons de ressources humaines médicales qualifiées dans la gestion de ces épidémies, d’un renfort en matériels et équipements médicaux, ainsi qu’en médicaments. Par ailleurs, pour que les mesures de distanciation sociale et les gestes barrières soient effectifs, il faudra que la population reçoive un support financier pour leur permettre d’adhérer pleinement à ces mesures.
Il faudra aussi mettre en place, et en urgence, des corridors humanitaires afin de pouvoir acheminer dans les pays des ressources humaines qualifiées ainsi que les autres moyens nécessaires à une réponse solide.
La très grande majorité des pays africains ont des ressources pour la prise en charge des patients bien plus limitées que pour les pays européens. A titre d’exemple, il y a près de 20 fois moins de capacité en lits d’hospitalisation qu’en France et près de 50 fois moins de médecins par habitant que dans les pays européens.
Peut-on espérer une aide de la part des médecins des autres pays ? Du matériel médical ?
Les pays africains ont besoin d’un renfort en terme de ressources humaines médicales qualifiées dans la gestion de ces épidémies, d’un renfort en matériels et équipements médicaux, ainsi qu’en médicaments. Nous appelons les pays qui ont déjà passé le pic épidémique à faire preuve de solidarité internationale pour endiguer l’épidémie dans les pays africains. Il est aussi important d’associer la force des ONG dans cette réponse.
Après avoir combattu l’épidémie en Europe, pensez-vous que les médecins auront le courage de partir pour aider à l’étranger ?
C’est ce que nous espérons car il nous faut absolument mobiliser l’aide internationale pour répondre aux défis liés au Coronavirus en Afrique. Dans nos programmes, nous avons une majorité de médecins africains, ce qui fait la force de notre modèle, mais si des médecins européens, américains… ou de tous autres pays souhaitent nous rejoindre, nous les encourageons le faire. C’était déjà le cas dans la réponse de notre riposte à Ebola !
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Que peuvent donc faire les citoyens d’Afrique pour se protéger au mieux ?
Sur le continent, nous encourageons les populations à suivre les mesures sanitaires internationales indiquées et à éviter tout déplacement inutiles.
Certaines fausses croyances et fausses informations peuvent circuler et amplifier le risque sanitaire. Il faut respecter les consignes des autorités mais aussi que celles-ci luttent activement contre ces fausses rumeurs en renforçant les campagnes de sensibilisation, d’information et de communication.
A propos d’ALIMA
ALIMA (The Alliance for International Medical Action) est une ONG médicale humanitaire créée en 2009. Elle a pour objectif de fournir des soins de santé de qualité aux personnes les plus vulnérables, en zone de forte mortalité lors de situations d’urgence et de crises. ALIMA s’appuie sur un mode opératoire fondé sur le partenariat avec des acteurs humanitaires nationaux, des médecins locaux et la société civile sur place, et s’est ainsi imposée comme un acteur incontournable de l’humanitaire médical en Afrique. L’ambition d’ALIMA est de révolutionner l’aide médicale d’urgence et de transformer la médecine humanitaire en favorisant la recherche, l’innovation pour renforcer l’impact des actions humanitaires. En 10 ans, ALIMA a traité plus de 5 millions de patients dans 14 pays et a lancé environ 30 projets de recherche sur la malnutrition, le paludisme, le virus Ebola et la fièvre de Lassa. Son action lors de l’épidémie d’Ebola a été récompensée par plusieurs prix internationaux : en 2015 par l’Union Européenne avec le « prix de la santé», puis en 2019 par Bill Gates avec le prix « Game Changing Innovator » pour le développement de la technologie de la CUBE (Chambre d’Urgence Biosécurisée pour les Epidémies).
https://www.alima-ngo.org/fr/ https://twitter.com/ALIMAong
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