« Comment ça s’est passé cette nuit ? » « Tu te sens bien ? » « J’espère que tu n’es pas sortie ? » Chaque matin, les mêmes questions au téléphone. Ils sont à des milliers de kilomètres les uns des autres. Ils regardent les infos, ils épluchent les sites, et ils s’appellent sur Whatsapp, Skype ou Messenger… Une, deux, trois fois par jour. L’angoisse est permanente. Les réseaux sociaux racontent tant de tas de choses. Que l’Afrique n’a pas les moyens. Que la catastrophe va être terrible. Scénarios d’apocalypse et un dialogue qui entretient un peu la proximité et le soutien.
Il y a un mois et demi, Maggie est venue en France pour des soins. « Mais quand j’ai voulu rentrer, la frontière était fermée. Je ne peux pas revenir à Douala, je suis confinée chez ma sœur. Et là-bas, je suis très inquiète pour les enfants. » Le confinement en France ne la rassure pas et ce qu’elle a vu du Cameroun, des marchés, des bars qui restent ouverts, l’inquiète plus encore. Des exemples de ce genre, il y en a des dizaines de milliers. Bloqués à l’étranger, dans l’incapacité de rejoindre leur famille. Leur séparation d’avec les enfants ou les parents n’a jamais été aussi difficile.
Le plus pénible pour Anaïs, ce sont les nouvelles qui laissent comprendre une certaine incompréhension de la situation. « Il y a une semaine encore, j’avais l’impression, en les appelant à Dakar, que nous ne vivions pas la même situation. J’étais ici en Europe, ils savaient que les pays étaient très affectés, mais c’était une “maladie de blancs”, disaient-ils. Mes cousins, ça les faisaient un peu rire, tout ce « bruit » qu’on faisait. En tous cas, ils étaient sûr que l’Afrique ne connaîtrait rien. » Aujourd’hui, le Sénégal compte 142 personnes contaminées (OMS). Et pourtant, pas mal de gens continuent de douter. Aïcha a beau les prévenir, elle sent bien que les mots ne leur parviennent pas.
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Cette inquiétude est loin d’être à sens unique. Mauricette habite Kinhasa, au quartier Limete, plutôt chic. Son fils fait ses études dans le New Jersey. Au départ, elle a entendu parlé de l’Italie. « C’était très effrayant, dit-elle, les gens sur les brancards, au dehors de l’hôpital. Mais aujourd’hui, ils disent que New-York est l’épicentre. Et on ne voit rien. C’est très angoissant. Il est là-bas, il n’a pas vraiment les moyens de rester à la maison. Donc il travaille le soir. » Si on l’interroge sur Kinshasa, Mauricette sourit. On n’y est pas encore. Pour le moment, je ne suis pas inquiète ici. La vie reste la même. »
Et puis, il y a le confinement. Il y a trois semaines, le mot était inconnu. Il n’avait aucune signification et aujourd’hui encore, on se demande quelle réalité il recouvre. Jeanne-Sophie est originaire du Congo-Brazzaville. Son mari est Européen et ils résident dans le Sud-ouest. Depuis quinze jours, son mari a arrêté le travail. Quand elle téléphone à Pointe-Noire, ses sœurs lui disent que Sassou Nguesso a décidé le confinement et le couvre-feu (28 mars), mais « que c’est trop. Elles ne sont pas d’accord, où vont-elles maintenant trouver l’argent pour se nourrir ? » Jeanne-Sophie est du même avis. « Je voudrais pouvoir envoyer quelque chose. On est bouclé ici. On est complètement impuissants. » Et pourtant, ce matin, sur sa messagerie, l’une de ses sœurs lui parlait d’herbes traditionnelles pour se soigner. « Elle était très inquiète que je ne puisse pas en trouver en France. »
Roger Calmé
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