Interview/ Assia-Printemps Gibirila: Je me souviens d’un bateau

… un livre essentiel. Il s’agissait autant d’un ouvrage d’histoire, que d’une épopée et d’une rencontre avec cette mémoire du jazz et de la souffrance. Parce que les deux sont indissociables. Ils parlent de la violence, de l’arrachement, de la douleur que l’on enfouit. Une histoire qui ne se termine jamais vraiment. Peut-être faut-il donner aux enfants (noirs ou blancs) un peu de cette musique à mâchonner. Nécessaire à la construction.

Amina: Le mois de l’histoire noire s’est achevé. Vous êtes l’auteure d’un livre sur le jazz, qui met justement la mémoire au centre. Cette sensibilité à l’histoire, vous la ressentez comment?

Assia-Printemps Gibirila: C’est réducteur un mois de l’histoire noire, non? Nous sommes l’histoire, la naissance de l’humanité avec Lucy. Au travers de « Balade de la dernière nuit (*) », c’est toute l’importance du devoir de mémoire qui est écrite. Pour savoir où on va il faut savoir d’où on vient, d’où l’importance de la généalogie qui est l’histoire de vie de notre peuple. A mon sens c’est bien plus qu’une sensibilité, l’histoire de l’Afrique est inscrite en moi, elle est l’essence de tout un chacun.

L’histoire est aussi une grande blessure. Aujourd’hui pour une Africaine, cette proximité à l’Occident ?
Une blessure qui se referme mal ou pas est soit une plaie béante soit une cicatrice. Le symptôme en est la douleur à chaque mouvement. C’est très certainement ce que l’Occident  représente pour l’Africaine que je suis. Cette histoire de rencontre entre ces deux continents n’est commune que par la force des choses au travers de la violence et de l’exploitation.

“La rencontre entre ces deux continents n’est commune que par la force des choses au travers de la violence et de l’exploitation.” Assia-Printemps Gibirila.

Est-ce qu’il y a une proximité culturelle, émotionnelle, une parenté qui vous inspire autre chose ?
Je suis le fruit de la rencontre d’un Béninois et d’une Vietnamo-Congolaise. J’ai grandi en Europe. C’est ce mélange qui inspire mes lignes et qui colorise mes émotions… Oui, la chanson, car chanter, c’est d’abord écrire, faire rimer les mots pour qu’ils deviennent tempo, son, rythme : « Fofo, Dada / Odabo Ouidah … »

On écrit et on ré-écrit l’histoire, selon les époques. Comment doit-elle se lire désormais ?
Je pense déjà que la réécriture de l’histoire est liée à de nouvelles données qui apportent des éclairages différents. L’histoire, la géographie sont des matières primordiales pour que les petites têtes aux cheveux crépus ou aux cheveux blonds. Qu’ils sachent qui ils sont… Leur dire aussi que sans solidarité et respect, le monde s’écroule au profit de l’individualisme. Il est important de leur apprendre aussi la valeur de notre terre qui aujourd’hui se venge d’avoir était si maltraitée.

« On ne peut parler de cette musique d’émotion et de contestation sans parler de ses origines, de l’Afrique, l’esclavage, la condition des Noirs américains… » Cotonou, Premières rencontres du livre, sept. 2019.

“On ne peut pas tout piller. Le message que nous faisons passer au travers de l’art est issu de notre ressenti, de notre histoire.” A-P Gibirila


Aujourd’hui, quelles sont les situations qui creusent le fossé entre les continents ?
L’Esclavage, la colonisation, le Franc CFA, la mondialisation… Ces évènements politiques n’ont fait qu’engendrer la dépendance et l’exploitation dissimulée. Quand l’euro est apparu, l’économie de l’Afrique s’est écroulée car notre monnaie était liée au franc français. L’eco, ce projet de monnaie africaine, cassera- t-elle se pouvoir de la France-Afrique ? Existera-t-il une réelle plus-value pour nos produits, nos connaissances ?

A l’inverse, le rapprochement veut s’opérer de quelle manière ?
Les auteurs,  les artistes, les créateurs, les comédiens… on ne peut pas tout piller. Le message que nous faisons passer au travers de l’art est issu de notre ressenti, de notre histoire. Personne ne peut rentrer dans notre tête pour parler ou faire à notre place. C’est en nous, on ne peut nous le retirer. Même les jumeaux, dont le pouvoir est sacré chez nous, restent deux entités, deux voix  différentes.

Si vous aviez un livre, un film, une peinture à proposer pour cette mémoire vive ?
« En attendant le vote des bêtes sauvages » Aimer son pays c’est être lucide, donc capable de pointer ses imperfections. Monsieur Kourouma dénonce avec un humour caustique les travers des hommes politiques dans une Afrique imaginaire. Est-elle si imaginaire que cela ?  «Yeelen» de Souleymane Cissé, le film qui décrit merveilleusement nos traditions, même si parfois elles sont dures. Restons sur la qualité, la beauté de nos artistes… Le pire, nous le côtoyons tous les jours. Aujourd’hui, il est présent sous la forme d’un virus qui va marquer l’histoire du monde entier.

Recueilli par Roger Calmé
Photo de l’auteure
http://assia-printemps-gibirila.webnode.fr

Balade de la dernière nuit, d’Assia-Printemps Giribila, édit. Savanes du Continent. 18 euros.

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