Si on présente souvent Kigali comme un modèle de réussite, cela tient aux chiffres, et surtout à un état d’esprit. Pour la jeune génération, le génocide de 1994 reste dans les mémoires bien sûr, mais elle veut aussi voir plus loin. Et la mode est à cette image. Dynamique, innovante, capable de venir à New-York, Londres, Bruxelles, sans l’ombre d’un complexe. En 2018, la décision de Donald Trump de ne plus favoriser l’importation des produits rwandais, ne l’a pas abattue. « C’était une question de fierté pour nous, » estime Sonia Mugabo.
La trentaine, robe vive et geste bien affirmé, elle est la styliste en vue du moment. Avec Moïse Turahirwa (Moshions), c’est elle qui représente le plus souvent ce « made in Rwanda » que le gouvernement a voulu défendre. Quand elle est arrivée des Etats-Unis, en 2013, Sonia reconnait avoir largement bénéficié de ce soutien de l’Etat. « Rwanda Business Development (RDB) présentait un ensemble de propositions très incitatives. J’ai donc décidé de rentrer dès la fin de mes études de mode et de lancer ma marque SM. » Il semble qu’elle ait opéré le bon choix. Un mélange subtil de design occidental, de matières modernes, mais dans des rendus africains qui donnent une respiration particulière. « Aujourd’hui, les produits SM sont distribués en Afrique, en Amérique du Nord et en Europe par le biais du commerce électronique, des magasins de détail, des stockistes… Et nous sommes présents sur les grands évènements. » Produire pour le plus grand nombre
Désormais, l’une des questions qu’elle se pose, serait de dépasser ce créneau du luxe dans laquelle les créations (en général) se trouvent. Ses boutiques de Kigali, dont la dernière s’est ouverte au Marriott, ne vont jamais concerner la population. « Aujourd’hui, je ne peux pas satisfaire plus de 2 % de la demande, parce que mes coûts sont trop élevés. » Une robe vendue localement à 50 euros est un objet de grand luxe. Tout comme Moïse Turahirwa, elle aimerait voir une industrie textile, inspirée des savoirs locaux. « La plupart des Rwandais portent des vêtements d’occasion importés de pays occidentaux, ce qui signifie essentiellement que les talents locaux sont largement ignorés. », disait-elle en 2016, sur le site « she leads africa ».
La nouvelle réglementation sur l’importation de vêtements de seconde main est allée dans ce sens. Mais le Rwanda, et les industriels du textile, attendent toujours les unités de production. La mode détient une part des solutions. Elle a les couleurs de son époque, moderne, interculturelle, hautement relayée par les réseaux. Désormais il lui faut aussi des outils de production.
Roger Calmé
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