DANS LE VENTRE DU CAUCHEMAR

Il y a deux choses qui interpellent quand on regarde le blog de Sokhna Benga. D’abord cette dédicace qui apparait tout en haut. « Au service de la culture, du livre et de la mer. » Sa carrière maritime donc. Se douterait-on que cette femme de lettres est aussi administratrice portuaire ? De son bureau, face à l’océan, elle règle donc le déplacement des grands navires. C’est déjà un ouvrage en soi.

Ensuite, il y a la famille. L’un des onglets ouvre un album de photographies. On y voit des visages sans commentaires, que l’on imagine heureux. Une toute jeune fille, un garçon sur un tirage jauni, des rires, des fêtes… C’est ainsi que devrait être la vie.

Auteure prolifique, Sokhna Benga a publié une grosse vingtaine d’ouvrages qui touchent à tous les domaines. Le roman, la nouvelle, la poésie, du scénario également, et puis ce dernier livre publié chez L’Harmattan, le plus terrible. D’une précision absolue, lente plongée dans le ventre du cauchemar.

Que l’horreur s’écoule à l’extérieur
« Bris d’ombre » est un roman sur la blessure, si profonde que le sang ne s’arrête jamais, que la cicatrice ne se referme pas. Une plaie d’enfance, qu’un homme inflige et perpétue. Dans ce livre terrifiant, l’écrivaine sénégalaise ouvre cette solitude et met enfin des mots dessus. Elle procède de la même façon que celle ou celui qui écoute la plainte de l’enfant violé. Elle lui donne la parole, pour que l’horreur s’écoule à l’extérieur. « Je ne veux pas dormir non plus. Je me tourne, me retourne pour éviter aux racines de ma mémoire de plonger dans les abîmes d’un éternel cauchemar. », écrit-elle, dans cette chambre recluse de l’hôpital, où la victime a échoué.

« Je la suis. Je me sens bien avec elle. Je l’observe pendant qu’elle est aux petits soins avec moi dans la salle deux fois plus grande que ma chambre. J’ai envie de lui dire mes craintes. J’ai envie d’en parler avec elle,   car elle a su avec une douceur toute maternelle balayer mes peurs. J’avise le bloc-notes et le stylo posé derrière elle. Dès qu’elle se redresse, je pointe mon index vers les deux objets. Elle comprend aussitôt :

– Tu as besoin de ça ? demande-t-elle. Tu sais écrire ?
Elle ne cache pas son air abasourdi. Je hoche la tête en signe d’acquiescement. Elle ne fait pas de commentaire et je lui en suis reconnaissante. J’écris tant bien que mal sur la feuille blanche s’étalant devant moi : « J’ai peur »

– Tu as peur de quoi ? Dis-moi…
Je continue à écrire : « J’ai peur que les plaies du passé se rouvrent. Si une telle chose arrivait dans ma vie, personne ne pourra me protéger de moi-même. Je suis ma principale ennemie. » »

« Bris d’ombre », de Sokhna Benga, édit. L’Harmattan, 23 euros (papier) et 16 euros, 99 (e-book).

R. Calmé
Photo DR

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